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Le Blog du Pollen Iodé

"Le Nexus du docteur Erdmann" - Nancy Kress

            Le docteur Erdmann est un vieux physicien qui enseigne encore à l’université en dépit de son âge avancé, mais qui vit dans une maison de retraite. Un jour, il sent une sorte d’onde lui traverser le cerveau ; le phénomène se répétera à plusieurs reprises, parfois douloureux, parfois non. Le physicien s’aperçoit que d’autres habitants de la maison de retraite sont touchés par cette onde. Certains d’entre eux croient qu’il s’agit d’une maladie, mais on ne leur en diagnostique aucune. Erdmann se met à enquêter sur le sujet, aidé par Carrie, une jeune infirmière sympathique, harcelée par son ex-mari, un policier violent. A la fin du récit, on apprend que l’onde est envoyée par une entité extraterrestre dotée d’une intelligence supérieure. Elle juge que l’humanité a atteint un niveau de conscience suffisamment élevé pour que la somme de ses esprits individuels fusionnent afin de former un intellect global ayant plus de valeur que les parties jusqu’alors séparées qui la composeraient. Certaines des personnes confrontées à l’onde acceptent cette fusion, d’autres préfèrent conserver leur identité isolée.

            Comparé à d’autres œuvres du même auteur, par exemple le Cycle de la probabilité, ce roman-ci n’est pas très original ni imaginatif. Le thème de l’humanité qui fusionne pour former une conscience collective a déjà été traité il y a assez longtemps par Arthur C. Clarke dans Les Enfants d’Icare et, postérieurement à la publication du livre de Kress, dans La Sonate Hydrogène d’Iain Banks. Chez Clarke, seuls les enfants fusionnent (mais les adultes deviennent stériles et sont voués à disparaître après leur progéniture), chez Kress, seules les personnes âgées le font et chez Banks, tout le monde est concerné indistinctement. L’idée d’une intelligence collective supérieure aux consciences individuelles est assez facilement concevable et peut éventuellement être perçue comme un progrès, mais si les gens qui la forment sont effectivement si doués, on ne voit pas pourquoi ils devraient fusionner irrémédiablement plutôt que de pouvoir se connecter ou se déconnecter à leur guise à la conscience de groupe. La fusion dans ces romans est présentée comme ayant un corollaire tragique, l’élimination des personnalités individuelles, mais cette élimination apparaît comme une décision prise arbitrairement par les auteurs et dont rien ne justifie la nécessité, de sorte que le ton dramatique que Kress et les deux autres veulent donner à leur œuvre paraît un peu forcé. Dans le livre de Kress, si les personnes âgées sont insuffisamment nombreuses à accepter de fusionner, c’est censé entraîner la destruction de l’ensemble de l’humanité, mais on ne nous explique pas pourquoi. Seuls les individus de plus de quatre-vingt-ans peuvent participer à la fusion, apparemment parce que celle-ci ne peut se réaliser que chez des gens ayant vécu longtemps et acquis beaucoup d’expérience, idée raisonnablement valable mais que l’on pourrait tout de même discuter si l’on voulait. Par ailleurs, la romancière ne fait pas non plus d’efforts particuliers pour imaginer explicitement la civilisation d’origine de l’entité extraterrestre ou un mode de pensée un tant soit peu exotique chez celle-ci, ce qui est décevant quand on sait qu’elle est capable d’une grande créativité sur ce point dans d’autres œuvres. Ici, la nature de l’extraterrestre est vague, le sujet de réflexion soulevé ne fait que reprendre une notion déjà vue ailleurs sans réellement l’approfondir et il l’accompagne d’un pathos pas forcément justifié.

            Les représentants du troisième âge sont dépeints comme des gens méprisés par nombre de leurs congénères plus jeunes qui les voient tous comme des gâteux et les infantilisent ; il s’avère que les gens âgés, en dépit de leur évidente faiblesse physique et éventuellement mentale due à la vieillesse, ont en fin de compte une importance capitale pour la survie de l’humanité dans le livre. C’est certes une bonne chose de montrer qu’il ne faut pas mépriser la faiblesse apparente parce que celle-ci peut receler une valeur cachée, d’autant que comme le signale l’ouvrage, les seniors représentent une portion grandissante de la population mondiale. Les gens vieux, si on veut les décrire de manière réaliste dans la fiction, ont une liberté de mouvements réduite par rapport à d’autres types de personnages, ce qui peut les rendre moins commodes d’utilisation du point de vue de la narration, de sorte qu’il n’est pas sans mérite de focaliser un récit sur eux et d’aller ainsi contre la mode.

            Les personnages sont bien décrits, on se les représente facilement, mais ils sont aussi assez stéréotypés : le scientifique est comme il se doit épris de rationalité et prend de haut ceux qui ne le sont pas autant que lui, l’infirmière est dévouée au protagoniste principal et fait en même temps office de jeune fille en détresse de service, la commère ennuie tout le monde avec ses bavardages, la hippie adepte des philosophies orientales n’est prise au sérieux par personne, l’ancienne étoile de ballet est encore imbue de sa célébrité passée (cette dernière est cependant un peu moins convenue que les autres parce qu’on se plaît plus souvent à représenter la vénération adressée à des vedettes jeunes) et son amoureux est un bourru transi par la passion des plus typiques.

            A la fin de l’histoire, quand l’entité extraterrestre propose la fusion des consciences aux octogénaires, un certain nombre acceptent, le physicien, l’amoureux et une dame confite en dévotion, amie de la pipelette, refusent, tandis que l’ancienne danseuse essaie apparemment de faire les deux en même temps, ce qui a pour résultat de la tuer sans la faire fusionner. L’idée est peut-être que la passion pour le savoir, pour la religion, ou bien le sentiment amoureux, sont ce qui lie le plus étroitement un individu au sentiment de son identité propre, à la fois ce qui pousse les gens à donner à leur ego une primauté sur tout le reste et à les rendre plus indépendants d’esprit que la majeure partie de leurs pairs (tous les autres personnages à qui la fusion est proposée l’acceptent sans vraiment se poser de questions). L’art (de la danseuse) est apparemment ce qui provoque une grande focalisation sur son moi et une grande ouverture à ce qui le dépasse, simultanément, à en juger d’après ce qui arrive à l’ex-étoile. Il est assez vrai que la science, la religion, l’amour et l’art peuvent donner naissance à des sentiments assez exclusifs chez leurs adeptes, bien qu’en fait les deux premières soient plutôt tournées vers autrui, la science parce qu’elle veut en principe assurer le bien-être de l’humanité par le biais du culte de la raison, la religion parce qu’elle veut la même chose mais en se chargeant du maintien d’une espèce de statu quo moral. On aurait pu citer d’autres valeurs ayant potentiellement le même effet à la place de celles-là, mais ici le choix fait par la romancière peut tout de même assez bien se défendre.

            Les observations sur la vieillesse et la faiblesse ainsi que celles sur la confrontation entre l’individuel et le collectif ne sont pas dénuées d’intérêt, en revanche dans ce texte l’écrivaine ne brille pas par l’inventivité et la capacité d’innovation dont on la sait pourtant capable. Le roman se lit vite et la manière dont il s’exprime n’est pas déplaisante, mais on l’aurait souhaité plus ambitieux.

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