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Le Blog du Pollen Iodé

"Lettre à Ménécée" - Epicure

            Dans cette lettre, le penseur Epicure explique que l’être humain doit aimer la philosophie parce qu’elle lui permet de ne craindre ni la mort ni les dieux. Cet être étant principalement mû par la peur de la souffrance et la recherche du plaisir, il doit afin d’obtenir le bonheur agir raisonnablement, de manière à supprimer ou réduire le plus possible la première et obtenir la plus grande quantité possible du second. Le bonheur et le plaisir ne sont pas définis comme l’obtention de la volupté mais comme l’utilisation habile de l’intelligence qui permet d’atteindre la sérénité par le biais des deux types d’efforts décrits plus haut. Cette sorte d’intelligence est vantée par l’auteur sous le nom de prudence ; on pourrait également parler de modération.

            Contrairement à ce qu’on peut être tenté de faire, le philosophe ne rejette pas le plaisir comme source de souffrance lorsqu’il n’est pas satisfait, mais en fait un moteur du progrès de l’humanité, au même titre que la souffrance d’ailleurs. En revanche, sa manière de décrire le plaisir comme l’absence ou la cessation de la souffrance est discutable ; certes l’un est le contraire de l’autre, mais on peut aussi ressentir du plaisir alors qu’on n’était pas en train de souffrir, qu’on ne recherchait pas un agrément en particulier et qu’on ne s’attendait pas à ce qu’il survienne (on peut aussi à la rigueur ressentir les deux affects contradictoires en même temps). Dire, comme le fait le penseur, que la malchance faisant suite à une action réfléchie est préférable à la chance qui suit une étourderie est peut-être vrai d’un certain point de vue de satisfaction de l’intellect, mais évidemment faux du point de vue de la simple psychologie : il est impossible de se réjouir sincèrement d’un évènement désagréable (à moins qu’on ne soit assuré qu’il soit suivi d’un évènement plus plaisant que l’autre n’est contrariant), même s’il a été précédé par un raisonnement correctement mené. A l’inverse, on se réjouit facilement d’une bonne fortune même si on a conscience qu’elle est imméritée. On a l’impression qu’Epicure fait montre d’un peu de mauvaise foi ou tout au moins qu’il omet de prendre en compte les réalités humaines qui ne vont pas dans le sens de son dogme. De même, il dit que la mort n’est pas à craindre parce qu’une fois décédé on n’est plus en mesure d’avoir des sentiments, ni satisfaisants ni contrariants, et qu’il est donc inutile d’en nourrir à ce sujet alors qu’on est encore en vie. Seulement, ce n’est pas parce qu’une entité, sentiment ou autre, est inutile, qu’elle cesse automatiquement d’exister, de toute évidence ; en outre, la peur de la mort a en réalité une utilité assez manifeste dans le cadre de l’instinct de conservation. D’autre part, la peur de la mort n’est pas seulement causée par la crainte de perdre la vie, mais aussi par celle de perdre de son identité ; une absence de sentiment future à ce sujet n’a pas pour conséquence systématique une absence présente de celui-ci, même si la personne concernée a conscience de la chose.

            Le texte est raisonnable, se lit vite et sans peine, mais on a l’impression qu’il fait semblant de ne pas voir les difficultés pourtant vite identifiées qui pourraient remettre en question son propos, ce qui ne le rend que médiocrement convaincant. Il a certes la qualité d’être capable de provoquer facilement la réflexion, ne serait-ce que parce que ses limites viennent vite à l’esprit et qu’on est tenté de s’appesantir dessus plus que sur la lettre à Ménécée elle-même.

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