Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le Blog du Pollen Iodé

"Le brave soldat Chveïk" - Jaroslav Hasek

            Joseph Chveïk est un Tchèque vendeur de chiens volés, diagnostiqué idiot notoire lors de son service militaire. Lorsque la Première Guerre mondiale est déclarée, il dit qu’il veut aller au front, par patriotisme, mais toutes les autorités prennent son enthousiasme pour de la simulation, le trouvant absurde, et le traitent en déserteur, donc en criminel à punir. Chveïk connaît diverses mésaventures et devient successivement le serviteur d’un aumônier de l’armée, puis celui d’un lieutenant.

            Le livre est antimilitariste et montre la sottise de la guerre en présentant un personnage qui est le seul à la soutenir spontanément dans son entourage et qui, de ce fait, est considéré comme idiot par l’ensemble de ce dernier. Du reste, Chveïk lui-même n’est pas vraiment convaincu que le conflit peut être gagné par son camp et juge que le chef de celui-ci est un incapable, il soutient simplement ce camp par sentiment nationaliste, tandis que ses supérieurs au contraire sont professionnellement obligés d’avoir l’air certains de la victoire mais estiment tout de même, au fond, que le combat est indésirable et de ce fait ils voient des simulateurs et des déserteurs partout, même là où il n’y en a pas, parce qu’ils trouvent compréhensible qu’on ne veuille pas se battre, même s’ils sont chargés de punir ceux qui ne se laissent pas recruter. Chacun est socialement tenu de faire montre de courage et d’intrépidité, agir autrement conduirait le rebelle à être exécuté, mais par ailleurs personne n’a envie d’aller mourir à la guerre, de sorte que les gens, par souci de leur survie (pour éviter d’être condamné à mort) doivent feindre de n’avoir cure de celle-ci (et d’être tout disposé à se rendre sur le champ de bataille – bien qu’en pratique ils tâchent de l’éviter). La société, hypocritement, punit ceux qui ne font pas étalage de sentiments humainement indéfendables.

            Chveïk fait un peu penser à Jacques le fataliste, il est typiquement plus roublard que son maître du jour, mais rencontre tout de même toutes sortes d’ennuis, dont cependant il se tire communément en ayant l’air benêt, sans qu’on puisse déterminer à quel point il est réellement bête – il fait des choses manifestement idiotes comme tâcher de créer une amitié entre un chat et un canari, fournir à son maître un chien volé dans le quartier où il vit et pouvant donc facilement être récupéré par le propriétaire d’origine, ou créer des dettes superflues à l’aumônier pour lui procurer de l’argent rapidement, mais si ces actes soit stupides soit sournois lui attirent parfois des ennuis, ils le servent parfois aussi. Le personnage est apparemment capable d’élaborer des stratégies mais c’est le fait qu’il pense toujours à court terme qui lui attire des difficultés, ce dont il ne soucie pas trop parce qu’il pense apparemment pouvoir toujours se tirer d’affaire, ce qui effectivement se produit, mais en l’exposant à des avanies auxquelles il aurait pu échapper avec plus de prudence – certaines de ces avanies étant de toute façon l’effet d’un gouvernement injuste et corrompu, donc indépendantes des actes du protagoniste.

            Quand d’autres personnages font remarquer à Chveïk qu’il est sot et laid, celui-ci exprime volontiers son accord avec eux sur ce point (telle une figure socratique admettant qu’elle sait seulement qu’elle ne sait rien), mais sans se laisser aucunement démoraliser par ce fait qui, manifestement, n’affecte en rien l’estime qu’il se porte. On ne peut pourtant pas parler de manque de lucidité, mais plutôt d’acceptation et de soi, et de toute façon les gens qui entourent le soldat ne sont généralement pas très malins non plus, même si leur intelligence discutable se présente sous un jour plus socialement acceptable (du moins du point de vue de l’évitement des moqueries ; Chveïk n’échappe pas à ces dernières mais pour autant il n’est pas rejeté, au contraire il s’intègre très bien partout, sa bêtise apparemment évidente en fait un faire-valoir né, si bien que ses congénères aiment bien l’avoir sous la main pour cette raison). Quelque part, cette absence de préoccupation pour la performance intellectuelle est rafraîchissante, non pas parce qu’elle est nécessairement souhaitable ou recommandable, mais parce que le héros paraît n’avoir nul besoin de l’approbation d’autrui pour être à l’aise. Il semble serviable, parfois il l'est réellement, d’autres fois c’est une simple nuisance ; il est niais et rusé simultanément. Le roman donne à penser que l’intelligence est plus subjective et difficile à mesurer qu’on ne le dit habituellement (on pourrait aussi dire, ce que ne fait pas le livre, que l’intelligence est assez facile à mesurer mais qu’il en existe différentes sortes, Chveïk en possédant donc certaines à divers degrés et d’autres, non), ou que le personnage principal n’a pas d’intelligence académique mais une certaine quantité, peut-être plus forte que la moyenne, d’intelligence pratique ou surtout de débrouillardise. Il a aussi appris qu’il valait mieux ne pas avoir trop d’amour-propre pour survivre, ce que les individus qui sont hiérarchiquement au-dessus de lui ne paraissent pas toujours savoir. La bêtise individuelle de Chveïk sert aussi à mettre en lumière la bêtise globale du monde dans lequel il doit vivre.

            Le roman est distrayant, malin et son protagoniste majeur est une sorte d’antihéros ambigu qui a l’air simple (voire candide) mais peut tout de même facilement laisser perplexe. On lira l’ouvrage avec plaisir.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article