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Le Blog du Pollen Iodé

"IP5 – L’île aux pachydermes" - Jean-Jacques Beineix

            Un jeune graffeur parisien, Tony, subit un chantage de la part d’un malfrat qui lui ordonne, menaces à l’appui, de transporter à Grenoble des nains de jardin dont on suppose qu’ils contiennent de la drogue. Tony emmène avec lui son ami Jockey, un garçon de onze ans abandonné par sa mère et dont le père est alcoolique : Jockey souhaite aller à Grenoble pour y voir les Alpes et la neige. Tony change d’avis et veut se rendre à Toulouse pour y retrouver Gloria, une fille qu’il a jusqu’alors vainement poursuivie de ses assiduités. Les deux Parisiens volent successivement plusieurs voitures et d’autres biens pour effectuer leur trajet. En chemin, ils rencontrent Léon Marcel, un vieil homme dont l’équilibre mental semble incertain mais qui leur vient plusieurs fois en aide. Ce Léon déclare être à la recherche d’une certaine « île aux pachydermes » où il aurait rencontré la femme de sa vie, qu’il paraît avoir perdue de vue depuis.

            Le personnage de Jockey, plein d’entrain et bien joué d’ailleurs, apparaît comme infatigable pendant presque tout le film, ne se laissant toucher par le désarroi, très momentanément d’ailleurs, que lorsqu’il est perdu dans la forêt et lorsque les jours de Léon Marcel sont en danger. Une telle énergie est admirable mais pas forcément très réaliste chez un enfant, en principe moins fort physiquement et psychologiquement qu’un adulte dont la croissance est achevée, aussi imagine-t-on que la plupart des vrais enfants, menant la vie fatigante de Jockey, se plaindraient davantage, d’autant qu’ils auraient de bonnes raisons de le faire.

             Tony harcèle l’infirmière Gloria, qui repousse très explicitement ses avances à plusieurs reprises, la vie instable et la relative malhonnêteté du jeune homme lui inspirant une méfiance légitime. Elle finit pourtant par céder à l’insistance du personnage après avoir écouté en cachette un discours de Léon Marcel, adressé à Jockey, sur le fait qu’une vie sans amour est nécessairement ratée. Or, l’affirmation est discutable : les gens peuvent mener une vie épanouie sans avoir de relations sentimentales suivies, si celles-ci ne les intéressent pas. En outre on a l’impression que Gloria se met en couple avec Tony faute de mieux (au fond, il ne lui plaît guère, mais puisqu’apparemment il vaut mieux avoir une situation amoureuse quelconque plutôt que d’être seul…), ce qui n’est pas forcément raisonnable en réalité (il faut être en couple parce qu’on le souhaite et non parce qu’on a cédé à une contrainte, sinon cet état saurait difficilement rendre heureux ceux qu’il concerne).

            L’histoire que propose le film se conforme à première vue à un schéma très commun, c’est un récit initiatique, avec un héros menant une quête aventureuse (Tony), secondé par un ami fidèle et dévoué (Jockey) et par un sage mentor (Léon Marcel). On observe cependant une subversion de cette trame convenue : ici, l’ami dévoué à qui l’on confie le second rôle est souvent plus malin et plus généreux que le héros (qui typiquement est censé pouvoir faire office de modèle, mais ce n’est pas le cas ici) et le mentor semble un peu dérangé, ce qui fait que ses disciples accidentels ne le prennent pas toujours extrêmement au sérieux.

            Le personnage de Léon a des intentions meurtrières qu’il finit par dévoiler assez explicitement mais, lorsqu’il le fait, sans les concrétiser d’ailleurs, personne ne lui en veut, ce qui est d’une grande indulgence envers lui de la part de la sœur de la femme qu’il aurait voulu tuer et de la part de ses deux comparses, une indulgence excessive à vrai dire, au vu de la nature destructrice du projet. Léon sermonne les jeunes voleurs en leur vantant la valeur suprême qu’est apparemment à ses yeux la droiture, mais le fait qu’il veuille commettre un meurtre est en somme bien plus grave que les vols commis par les deux voyous, bien que, certes, chez Marcel cela reste une intention alors que les deux autres n’hésitent pas à mettre leurs idées en pratique. Les voleurs protestent un peu pour la forme mais en réalité ne font pas de grands efforts pour contester le jugement que porte sur eux le vieil homme (Jockey lui montre de la bonté, notamment pour lui signifier qu’il n’est pas un simple vaurien bien que ses actes ne paraissent pas globalement intéressés, mais il ne renonce pas pour autant à son goût pour le chapardage). On peut penser que Tony et Jockey, qui sont moralement compromis et le reconnaissent, ne s’adjugent par conséquent pas le droit de critiquer le penchant criminel de leur compagnon, ce qui indique éventuellement que la stricte rectitude morale permet de juger plus objectivement comment elle se présente chez autrui – ce qui est discutable, une vie criminelle n’empêche pas d’avoir des opinions et une opinion n’est pas exacte et soutenue par les faits uniquement parce qu’elle provient d’une personne intègre.

            Le jeune Jockey cherche apparemment une figure paternelle pour compenser le fait que son père faible, intempérant et irresponsable ne peut guère lui servir de modèle. Les individus qu’il choisit pour remplir ce rôle le déçoivent ou ne sont simplement pas en mesure de remplir ce rôle même au cas où il le souhaiteraient : Tony aime assez Jockey mais est relativement enclin à le laisser tomber si cela peut s’avérer utile ou commode, Léon est moins inconstant, mais trop fantasque pour être fiable, de surcroît à la fin du film il se retrouve à l’hôpital pour des motifs graves, ce qui le rend indisponible pour remplir complètement une fonction paternelle, même de substitution. Jockey s’attriste ponctuellement sur son propre sort mais jamais pendant longtemps et il ne garde pas rancune à ses deux éminemment faillibles comparses, ce qu’on pourrait voir comme l’indice de la naïveté de son caractère, mais qui peut également être interprété comme une illustration de l’invulnérabilité de la jeunesse, qui se remet toujours de toutes ses tribulations du fait précisément de sa vigueur juvénile.

            Le film est imaginatif, drôle et touchant, mais fait peut-être trop d’efforts pour que Tony paraisse plus sympathique qu’il ne l’est vraiment. Autrement, il offre une peinture assez bien faite de la marginalité sous ses divers aspects, ne cachant pas les difficultés qu’elle implique mais ne la présentant pas sous un jour uniformément lugubre non plus.

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