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Le Blog du Pollen Iodé

"Disent-ils" - Rachel Cusk

            Une écrivaine anglaise, prénommée Faye, la narratrice du roman, se rend à Athènes pour animer un atelier d’écriture. Au cours de son séjour, elle rencontre divers personnages dont les existences ont plus ou moins de similitudes avec la sienne.

            De nombreux inconnus sont disposés à raconter leur vie à la narratrice (dont le prénom est utilisé une seule fois dans le récit, lors d’une conversation avec sa banquière, ce qui sert peut-être à laisser entendre qu’on ne s’intéresse à son identité que lorsqu’on est motivé par des considérations financières) alors qu’ils ne savent pratiquement rien d’elle. Ils font même parfois cela devant un public de plusieurs inconnus, lors des ateliers d’écriture. Un tel manque de réserve et de prudence, devant tant de gens et chez un si grand nombre d’entre eux, n’est pas très réaliste.

            Des personnages sont confrontés au divorce, qui est dépeint comme étant aussi bien une source de liberté que le vecteur d’un sentiment de manque. Les récits que les gens font de leurs vies peuvent être hypocrites sans que des mensonges soient proférés, il suffit de cacher des choses pour altérer la perception que la destinataire (Faye) a de la vérité. Ainsi, le « voisin » de la narratrice se plaint de son épouse mais omet de préciser qu’il la trompait, avant que l’animatrice de l’atelier ne lui pose la question (cette conversation a lieu dans un autre contexte, le voisin ne participant pas à cet atelier). En général, le discours que fait le livre sur la famille laisse entendre qu’elle est envahissante mais qu’elle manque si elle n’est pas là ou si elle ne fait pas montre de suffisamment de soutien et d’approbation (ce qui est discutable, dans la réalité il y a des gens qui s’en passent…), comme le montre le cas de la mère qui accepte d’adopter une chienne, laquelle lui rend la vie très difficile, afin de plaire à ses enfants, qui sont désagréables mais très importants à ses yeux.

            L’ouvrage veut montrer que la censure exercée par l’extérieur peut empêcher l’individu de communiquer avec les autres mais aussi dans une certaine mesure avec soi-même. La narratrice dit qu’elle ne se pose plus la question de savoir si elle aime les choses ou non, ce qui d’un côté manifeste une grande ouverture d’esprit mais d’un autre côté semble devoir donner un point de vue morne et déprimant, du fait de son extrême relativisme, sur l’ensemble de l’existence – on peut aussi voir là l’indice d’un manque de confiance en soi, Faye étant donc apparemment un personnage pas suffisamment assuré pour émettre des jugements d’appréciation ou d’antipathie. Un protagoniste apparaissant à la fin, Anne, qui va remplacer Faye dans son rôle d’animatrice, a été victime d’une tentative de meurtre ; ayant été traumatisée par cet évènement, elle en parle beaucoup aux gens en général et ses amis que cela indispose lui demandent d’arrêter cela. Anne obtempère mais elle développe un réflexe mental involontaire qui la fait résumer en un mot chaque évènement et chaque individu de son entourage, réflexe qui la conduit à perdre son intérêt pour eux ; puisqu’on n’accorde pas de valeur à ce qu’elle exprime, elle traite le monde comme il la traite lui-même, de manière expéditive. Le procédé, dans sa nature de riposte, est inconscient et involontaire, son résultat étant du reste démoralisant pour l’intéressée.

            Le texte offre des observations pertinentes sur le comportement des gens, par exemple sur le fait qu’ils sont toujours prêts à encourager leurs semblables à accomplir des actes qu’eux-mêmes n’ont pas le courage de se donner pour but. Le propos est lucide mais pas agressif, plutôt détaché. Cette façon de faire est encore utilisée pour dépeindre avec vivacité et un mélange de sympathie et de moquerie le cas d’Angeliki, l’écrivain féministe qui aime l’art et rejette la bourgeoisie (voyant ce rejet comme la suite logique de son goût pour la vie artistique, ce qui est plutôt conventionnel), mais qui est habituée et attachée au luxe qui accompagne cette dernière, comme le montrent ses opinions en matière de restaurants. Le thème principal du roman pourrait être l’ambivalence des sentiments et des comportements humains, sujet traité sans flamboyance mais avec élégance.

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