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Le Blog du Pollen Iodé

"L’enfant perdue" - Elena Ferrante

            Dans ce quatrième et dernier tome de la série L’Amie prodigieuse, Elena Greco, la narratrice, poursuit sa liaison avec son amour d’enfance, Nino Sarratore, avec qui elle a une fille, Immacolata dite Imma, avant de rompre avec lui après avoir constaté successivement qu’il avait menti en lui disant qu’il avait quitté son épouse et qu’il la trompe avec une quantité invraisemblable de femmes censées être seulement des amies ou des connaissances. Pendant ce temps, l’amie d’Elena, Lila, a aussi une fille, Nunziatina dite Tina, avec leur ami d’enfance commun Enzo. Par la suite, Tina disparaît mystérieusement, probablement enlevée. Devenue une vieille dame, Lila disparaît à son tour mais envoie à Elena un paquet contenant les deux poupées avec lesquelles elles jouaient étant petites et qui étaient censées être perdues (le roman se conclut sur ce fait).

            Le roman montre bien comment les gens se laissent influencer par les caractéristiques superficielles de leurs congénères et laissent celles-ci dicter leur jugement et leur comportement à leur endroit, alors même qu’ils connaissent la valeur réelle de ces personnes et savent que les impressions de surface apportent des informations insuffisantes : ainsi, Lila, sauveuse économique de son quartier, reçoit la gratitude des habitants de celui-ci pour sa générosité, mais lorsqu’elle perd sa fille et se néglige en raison de son chagrin, ses débiteurs oublient presque instantanément ses bienfaits et la traitent en vieille folle dont il faut se méfier alors qu’ils savent bien ce qu’ils lui doivent et qu’ils connaissent la raison de sa détresse. En l’occurrence, il s’agit de gens ingrats alors qu’ils devraient être reconnaissants, mais on voit aussi le phénomène inverse, lorsqu’Elena se montre trop gentille avec Sarratore père, qui lui fait pitié et lui réclame ouvertement des compliments, alors qu’elle a d’excellentes raisons de lui en vouloir, de se méfier de lui et de ne pas aller dans son sens, ce qu’elle sait très bien. On est ainsi entraîné à adopter une certaine attitude que paraît nous dicter le moment, bien que cette attitude soit déraisonnable, faute de réflexion, de préparation ou parce que la chose à faire demande trop d’efforts (les gens du quartier sont peut-être ingrats parce que le poids de la générosité de Lila les écrase, si on veut).

            On peut trouver un peu étrange et peu réaliste qu’Elena, issue des classes populaires, ait, en atteignant l’âge mûr, parmi ses connaissances tant de célébrités qu’elle a rencontrées non pas quand elle est elle-même devenue célèbre, mais avant, dans sa prime jeunesse : Nino est député, Armando journaliste, Pasquale terroriste et on nous laisse entendre que Lila a pu être millionnaire à un moment et est une pionnière de l’informatique en Italie. Dans la vraie vie, il est rare qu’une si grande partie de l’entourage obscur d’une personne puisse ensuite accéder à la notoriété. Le récit offre du reste une réflexion adéquate sur le thème de la célébrité, montrant qu’on veut être proche de ceux qui la possèdent pour en partager avec eux les bénéfices mais qu’en même temps on les met à l’écart, comme c’est le cas pour Elena, car on les envie et on veut donc compenser leur chance en leur infligeant alors une espèce d’isolement punitif.

            L’histoire offre une grande satisfaction de lecture lorsqu’Elena rompt enfin avec Nino, individu faible de caractère mais dont elle met très longtemps à se détacher. Concernant Lila, on voit que, comme elle est fière de Tina, qui est jolie, vive et intelligente, elle ne s’inquiète pas pour celle-ci car elle a confiance en l’enfant, ce qui explique peut-être en partie son inattention au moment où la fillette disparaît. Son fils Gennaro ou Rino, gros balourd incapable, conserve la vie, mais sa fille douée meurt, ce qui renvoie aux idées répandues suivant lesquelles ce sont toujours les meilleurs qui partent les premiers et il faut apprécier ce qu’on a tant que c’est disponible, car on ne sait jamais quand on va le perdre. Du reste, Tina est encore très petite au moment de sa disparition, elle n’a donc pas eu le temps de décevoir sa mère, ce qui se serait peut-être produit si cette dernière l’avait gardée près d’elle.

            Le texte contient plusieurs mystères irrésolus : à la fin, on ne sait pas qui a tué les Solara, ni qui a enlevé Tina, ni comment s’explique le retour des deux poupées d’Elena et de Lila. En cela, le roman est réaliste, car la vie aussi contient un certain nombre de questions qui demeurent sans réponses.

            L’ouvrage est aussi captivant que ses prédécesseurs, quoique l’assez rapide succession de crises dans la vie de la narratrice puisse paraître un petit peu excessive. On recommande la série et on en lirait volontiers davantage au sujet des deux amies même si la boucle de leur histoire est ici manifestement bouclée.

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