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Le Blog du Pollen Iodé

"Porte de la Paix céleste" - Shan Sa

            En Chine, le jeune soldat Zhao pourchasse l’étudiante Ayamei, qui a contribué à l’organisation d’un rassemblement d’étudiants révoltés sur la place Tian an men (ou en français « Porte de la Paix céleste », d’où le titre du livre) dans la capitale, Beijing. Ce rassemblement a été réprimé dans le sang par l’armée chinoise et a fait d’Ayamei, aux yeux de l’Etat, une criminelle politique. Cet évènement historique a eu lieu en 1989, ce qui n’est pas précisé dans ce roman (dont les personnages sont fictifs). Zhao est amené à lire le journal intime d’Ayamei, ce qui lui ouvre les yeux sur des réalités qui lui ont été masquées par son éducation militaire faite surtout d’endoctrinement favorable au gouvernement. Le récit revient sur les années de formation du soldat et surtout de l’étudiante, tandis qu’en parallèle il retrace les étapes de la fuite de la jeune femme poursuivie par Zhao.

            L’objet principal de l’histoire est la dénonciation de l’oppression exercée par le gouvernement chinois, qui torture les suspects, officialise certains sentiments en en proscrivant d’autres et interdit notamment aux militaires de poser des questions à leurs supérieurs quant à leurs manœuvres et aux buts de celle-ci, cette censure allant de pair avec un Etat qui se proclame comme le seul libre au monde, bien meilleur que ceux de l’Occident. Cette situation est parfois dite littéralement, mais aussi illustrée de manière indirecte, par exemple dans l’anecdote où la petite Ayamei à l’école apprend un jour la nouvelle de la mort du président Mao Tsé-Toung : elle voit des gens se mettre pleurer autour d’elle et trouve cela d’abord risible, avant de se rendre compte qu’il est attendu d’elle qu’elle pleure également, or la situation ne lui inspire aucun chagrin, mais comme elle prend conscience aussi du blâme qu’elle va encourir et de tous les problèmes qu’elle va rencontrer si elle n’exprime pas la tristesse prescrite, elle se met à pleurer effectivement, non par affliction, mais par effroi à l’idée de ce qui lui arrivera si elle ne le fait pas.

            Enfant, Ayamei est une bonne élève qui fait tout ce qu’on lui dit de faire en classe et à la maison, jusqu’au jour où elle rencontre Min, « bad boy » archétypal, qui a de mauvaises notes à l’école et qui n’aime pas s’incliner devant l’ordre établi. Min influence son amie Ayamei et sera la source de sa révolte ultérieure. La fille se voit interdire par un enseignant de frayer avec l’intéressé, vu comme une mauvaise fréquentation (alors qu’on les avait d’abord délibérément mis en relation dans l’espoir que la bonne élève assagisse l’élément dissipé, mais c’est le contraire qui se produit), ce qui est d’une extrême stupidité vu l’attrait bien connu du type du mauvais garçon en général et de ce qui est défendu, pour les adolescents en particulier. Du reste, Min finit par se suicider et supposait qu’Ayamei l’imiterait sur ce point, ce qui n’est pas une manière très positive d’envisager l’amitié, même si l’opposition à l’ordre en place est ici tout à fait justifiée. L’auteur aime faire des descriptions poétiques de la nature ou d’autres choses, descriptions plus ou moins réussies, mais parfois plutôt belles et saisissantes en effet, comme cette allusion à la future révolte d’Ayamei dans son penchant pour une fleur en particulier (le texte provient du journal de l’intéressée, le roman est écrit à la troisième personne du singulier par ailleurs) : « Parmi les fleurs d’été, j’aime les iris. Leurs feuilles ressemblent aux glaives rapides et leurs fleurs aux flammes ardentes. La légende veut que l’iris soit la métamorphose d’une princesse qui combattait contre les envahisseurs et qui mourut sur le champ de bataille… ». La description de la fleur est un peu vague et peut sans peine s’appliquer à maintes autres variétés, certes… Il est par ailleurs intéressant de constater que les légendes chinoises ont ceci de commun avec la mythologie grecque qu’elles expliquent l’apparition de fleurs par des histoires arrivées à des êtres humains (comme dans le cas de Narcisse avec la fleur du même nom, de Myrrha avec l’arbre à myrrhe, ou du fils de Myrrha, Adonis, avec l’anémone). On a aussi dans le roman l’histoire d’un esprit féminin surpris en train de sa baigner, donc nu, par un jeune homme, qui rappelle nettement le mythe grec de la déesse de la chasse Artémis vue de la même manière par le chasseur Actéon, sauf que l’histoire finit mieux pour le garçon chez les Chinois que chez les Grecs, puisqu’Artémis fait dévorer Actéon par les chiens de ce dernier alors que l’esprit féminin devient amoureuse du jeune homme et lui fait promettre de revenir la voir, ce que ce voyeur ne fera pas, d’ailleurs.

            Le roman est plutôt court, il se lit vite et sans ennui. Le personnage de la jeune révoltée n’est pas d’une originalité fulgurante (on renverra ici aux histoires de pasionarias en tout genre…) mais inspire aisément la sympathie, l’individu qui évolue le plus est bien sûr ici Zhao qui devient plus ouvert d’esprit au cours de sa quête. (Ayamei passe certes du statut d’enfant modèle à celui de meneuse de manifestation politique, mais en fait ce changement est antérieur au début du récit et expliqué par des retours en arrière, l’histoire proprement dite commençant avec la manifestation à Tian an men). On est surtout frappé par le fait que cette histoire de rébellion chez les adolescents et les jeunes adultes envers un gouvernement et des instructeurs insatisfaisants, si elle est un lieu commun pour un lectorat occidental, prend une signification bien plus importante pour son équivalent chinois, dans la mesure où le gouvernement de la Chine interdit généralement toute allusion à l’évènement principal du récit qui donne son titre à ce dernier. Le roman a un aspect léger et presque immature par le choix de ses thèmes en ce qui concerne les personnages, mais il pointe en fait du doigt un problème grave, la censure et la désinformation encore parfaitement actifs à l’époque contemporaine.

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